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    L'existentialisme est un humanisme (Sartre)

     

    L'existentialisme est un humanisme de Sartre est au départ une conférence. Prononcée en 1946 à la Sorbonne, deux ans après la publication de l’Etre et le Néant, la conférence entend lever les malentendus et critiques adressés à cet ouvrage et à l’existentialisme en général.

     

    Comme l'indique le titre, la thèse de la conférence tient en une phrase : la philosophie existentialiste est une philosophie humaniste, qui place la liberté humaine au-dessus de tout. Ou, comme le dit Sartre en termes philosophiques : “l’existence précède l’essence“ (l'homme existe d'abord et se définit ensuite. Il n'est pas prédéfini).

     

    Rappelons que l’humanisme se définit classiquement comme une doctrine qui défend la valeur de la personne humaine et qui cherche à réaliser son épanouissement. Sartre cherche donc à prouver la compatibilité de l’existentialisme avec cette définition.

     

    Voici donc un résumé suivi de L’existentialisme est un Humanisme de Sartre :

     

    Plan de la partie étudiée :

     

    1. Exposé des principales critiques faites à l'existentialisme (pp. 21-25)

    2. Caractérisation des deux écoles existentialistes et de leur conception de l'homme (p. 25-33)

    3. Définition des principaux concepts de l'existentialisme athée (pp. 33-50) – Angoisse, Délaissement, Désespoir

    4. Conséquences morales de l'existentialisme : la nécessité de l'engagement et le refus du quiétisme (p. 50-56)

     

    I. Exposé des principales critiques faites à l'existentialisme

     

    Les critiques marxistes (p. 21-22) :

     

    Les marxistes se revendiquent des thèses de Marx et donc d'une vision de l'histoire selon laquelle les conditions économiques et sociales déterminent en grande partie l'action des individus. Or, pour les marxistes, l’existentialisme est une philosophie de l’impuissance qui invite à l'inactivité au lieu d'inviter à la lutte des classes. C'est selon eux une philosophie bourgeoise et contemplative (qui ne cherche pas à transformer le monde) et qui cherche à enfermer l'homme dans une attitude quiétiste (doctrine mystique d'origine néoplatonicienne qui pense que le salut passe par la contemplation plutôt que par l'action). Mais c'est aussi selon eux une philosophie subjectiviste et individualiste (tout vient de la subjectivité de l'individu) qui reprend l'idée de Descartes (le « je pense donc je suis » cartésien) selon laquelle l'homme se trouve lui-même grâce à sa pensée (je pense donc je suis : cogito ergo sum). Pour les marxistes cette idée est contradictoire avec l'idée que la subjectivité de l'homme est déterminée par des conditions objectives (conditions économiques et sociales) et que donc cette subjectivité n'est jamais libre.

     

    De fait, Sartre va répondre à deux niveaux à ces critiques : D'une part, homme d'engagement et compagnon de route du communisme, Sartre n'est pas pour l'inaction. Au contraire sa philosophie est fondée sur l’action libre et sur l'idée que l'homme n'existe que par ses projets. L'existentialisme ne saurait donc être réduit à la contemplation propre aux philosophies théoriques. Selon Sartre, le sujet se fait et s'invente lui-même par ses actes : il est donc tout entier action. Sartre critique aussi les philosophies qui consistent à contempler et à attendre que le destin humain soit inscrit dans le “Ciel des Idées”. Le reproche marxiste est donc balayé.

     

    Sur le reproche de subjectivisme et individualiste, Sartre répondra en deux temps. Dans L'existentialisme est un humanisme, il insiste sur le fait que si la liberté individuelle est absolue (je peux toujours changer), elle n'est pas infinie (hors de toute situation). Ma liberté est toujours en situation : je suis dans une situation (une facticité) qui me donne un certain champ de possibles (telle époque, tel pays, tel patrimoine biologique, tel milieu social) et à partir de cette situation seulement, je vais redéfinir mon existence. En ce sens, l'individu se choisit librement (à partir de sa subjectivité), mais à partir d'une situation qu'il n'a pas choisi (il y a une détermination de départ, mais qui n'est pas un prédéterminisme parce que je peux réorienter cette situation de départ).

     

    Mais, de fait, Sartre voudra par la suite aller plus loin. Dans la Critique de la raison Dialectique (parue en 1960), Sartre tentera de concilier de façon encore plus précise la logique collective propre au marxisme et l’approche centrée sur l’individu.

     



     

    Les critiques catholiques (p. 22) :

     

    Pour les philosophes catholiques, l’absence de Dieu retire à l’homme tout espoir et le condamne à vivre de manière absurde et à ne voir que le côté le plus sombre de l'humanité. En effet, si les valeurs morales ne sont plus fondées par une transcendance alors comment décider de ce qui est bien ou mal.

     

    Or, si Sartre assume l’athéisme de sa pensée, il refuse l'idée que sa philosophie soit nihiliste (doctrine qui prône l'absence de valeurs). Pour lui, l’homme est le créateur de ses propres valeurs et cela implique justement une complète responsabilité (mes actes deviennent un exemple pour l'humanité toute entière et, en ce sens, je suis responsable de tous les hommes dans chacun de mes actes). Loin d'une absence de morale, on est au contraire dans une perspective d'une morale pleinement assumée par l'humain (qui ne peut plus excuser ses actes en invoquant une forme de prédéterminisme : nature, une fatalité ou un Dieu).

     



     

    1. Caractérisation des deux écoles existentialistes et de leur conception de l'homme (p. 25-33)

     

    Pour définir ce qu'est l'existentialisme (et montrer ensuite qu'il est un humanisme), Sartre passe par plusieurs étapes.

     

    (p. 25 second paragraphe) : Il insiste sur le fait que l'existentialisme est devenu une mode et que, pour cette raison, on met tout et n'importe quoi derrière ce mot. Sartre a d'ailleurs longtemps refusé cette appellation d'existentialisme qu'on lui a accolé, mais il l'a finalement acceptée.

    (pp. 26-27) Sartre distingue ensuite son existentialisme athée de l'existentialisme chrétien (Karl Jaspers, Gabriel Marcel). Certes, les deux doctrines partagent l'idée qu'il faut partir de la subjectivité humaine et que l'existence précède l'essence, mais pour Sartre, l’idée d’un existentialisme chrétien (Jaspers, Kierkegaard) est en partie incohérente : si Dieu existe, alors l’existence de l’homme n’est plus contingente (contingence : existence qui pourrait ne pas avoir existé), elle devient nécessaire et donc comment l'essence ne précéderait-elle pas l'existence ? L’athéisme de Sartre est donc une exigence pour aller jusqu’au bout de la solitude de l’homme et sa responsabilité totale.

    (p. 27) Sartre explique ensuite ce qui caractérise l'existentialisme par rapport à toute autre doctrine philosophique : pour l'existentialisme l'existence précède l'essence. L’homme existe en ce qu’il n’est rien de défini, il devient ce qu’il a décidé d’être. L’homme crée son existence en se choisissant. Contrairement au coupe-papier qui est prédéfini, l'homme se redéfinit en permanence.

    (p. 27-28-29) A partir de là, Sartre se distingue d'une part des philosophes classiques (Descartes, Leibniz) qui pensent un Dieu créateur qui aurait prédéfini l'homme (comme un artisan définit sa production artisanale). D'autre part des philosophes des lumières qui tout en revendiquant une forme d'athéisme continuent de penser une « nature humaine » (des caractéristiques universelles et propres à tout être humain). Or, la notion même de “nature humaine” est absurde, puisque cela confère à l’homme une essence à laquelle l’homme ne pourrait pas s’arracher (or, pour Sartre, seuls les objets ont une nature, une fonction déterminée, tel l’exemple du coupe-papier utilisé dans la conférence). Les théoriciens de la nature font donc de l’homme un modèle figé oubliant ainsi, selon Sartre, que le sens de l’homme est de créer du nouveau, de modifier la figure du monde (NB : Simone de Beauvoir reprendra cette approche existentialiste pour justifier le féminisme en affirmant que la femme est libre d'être ce qu'elle veut et qu'elle n'est pas déterminée par la nature : « on ne naît pas femme, on le devient »).

     

    A partir de cette clarification, Sartre va expliquer ce qu'il entend par Liberté et subjectivité pour montrer que ces deux termes entraînent d'importantes conséquences morales.

     

     

     

    Liberté et subjectivisme (pp. 31-32)

     

    La pleine liberté n'est pas l'absence de responsabilité, mais une responsabilité totale : Si l'homme est entièrement libre alors il est aussi entièrement responsable de tout ce qu'il fait. De ce fait, l'idée de subjectivité ici n'est pas à prendre au premier sens de simple choix individuel, mais dans le sens plus profond d'une impossibilité pour l'homme de dépasser le monde humain pour se référer à des valeurs absolues (un bien ou un mal absolu). Or, s'il n'y a plus de valeurs absolues, qui définit l'humanité ? Chacun des individus ! Ce qui signifie que chacun de mes actes est porteur d'un exemple pour l'humanité tout entière ! Lourde responsabilité que d'être à chaque fois un modèle pour tous les autres. A chaque fois que je montre ce que l'homme peut être par un des mes actes, j'indique implicitement ce qu'il doit être selon moi. Bref, chacun devient responsable pour toute l'humanité puisqu'aucun Dieu ou aucune nature ne peut nous indiquer ce que nous devons être.

     

     

     

    1. Définition des principaux concepts de l'existentialisme athée (pp. 33-50) : NB : les trois concepts (angoisse, délaissement, désespoir) se recoupent donc lorsque vous expliquez l'un, pensez à faire des détours par les autres.

      Angoisse (p. 33-37)

     

    On vient de le dire, la liberté absolue invoquée par Sartre n'est pas la possibilité de faire n'importe quoi sans se préoccuper des conséquences, mais le devoir d'assumer ses actes comme un modèle pour l'humanité toute entière. De de ce fait, la liberté est porteuse d'une angoisse existentielle. Car quand je choisis, je sais d'un côté que mon choix est non seulement pleinement libre (que je suis seul à décider), mais qu'en plus il engage tout le monde.

     

    Mais parfois, l’homme vit mal cette angoisse. Il invente ainsi des subterfuges, notamment la mauvaise foi, pour la fuir. La mauvaise foi consiste à faire semblant de croire que l’on est pas libre et à trouver une excuse pour se faire croire qu'on ne peut pas agir autrement que comme on agit.

     

    L'angoisse est donc liée à la conjonction entre la pleine responsabilité que je vais devoir assumer et le sentiment de devoir choisir sans avoir de critères pour me garantir par avance que c'est le bon choix.

     

    L'angoisse et l'exemple d'Abraham (p. 35) : pour illustrer l'angoisse, Sartre prend l'exemple d'Abraham qui, pour le philosophe Kierkegaard (philosophe danois du 19ème siècle précurseur de l'existentialisme) représentait parfaitement la figure de l'angoisse existentielle. En effet, Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils unique. Qu’il le fasse ou pas, peu importe : il est en fait pleinement responsable de son acte car c’est lui qui, de bout en bout, construit ce projet, l’attribue à Dieu, et décide d’y obéir. Tout humain qui entend une voix lui commander un meurtre ne l’attribue pas nécessairement à Dieu, et tout humain qui reçoit un ordre n’y obéit pas nécessairement, cet ordre fut-il divin. Dès lors, Abraham est bel et bien responsable de son acte, il est seul, et l’existence de Dieu n’a finalement rien à voir avec le problème. C'est Abraham qui décide librement d'interpréter les signes qu'il reçoit comme des signes divins.

     

    L'angoisse existentielle est donc liée au fait, qu'au fond de nous, nous savons qu'il n'y a que nous pour pouvoir décider (quels que soient les signes ou les orientations du monde extérieur) et qu'il n'y a ensuite que nous qui soyons responsables.

     

    Pourtant, cette angoisse est la condition d'une action pleinement libre et tous les hommes de décision (les chefs par exemple) la connaissent. 

     



     

    Le délaissement (pp. 37-46)

     

    L'angoisse renvoie à un autre concept : le délaissement (que Sartre reprend à Heidegger, philosophe allemand que Sartre considère comme existentialiste). En effet, si nous sommes angoissés, c'est parce que nous sommes seuls à choisir et seuls à assumer la responsabilité de nos actes. Or, cette situation correspond à la situation d'une humanité qui est « délaissée » par toute idée d'une valeur absolue. En d'autres termes, c'est parce que l'homme ne peut plus s'en remettre à Dieu qu'il se sent délaissé.

     

    L’absence de Dieu, c’est donc avant tout la pleine responsabilité de l’homme devant ses propres choix. Dostoïevsky a écrit « Si Dieu n'existait pas, tout serait permis ». Sartre prend la phrase à la lettre. Tout est permis, donc je suis seul à choisir et responsable de tout ce que je choisis. Je suis donc délaissé parce que je suis condamné à choisir par moi-même. La liberté devient la condamnation à faire un choix sans aucune aide ! Désormais, il n’y a plus de possibilité d’attribuer ses actes à un metteur en scène ou un auteur suprême.

     

    Ainsi, là où les prédécesseurs de Sartre ont pu se réjouir de l’inexistence de Dieu, y voir une libération, lui veut en tirer toutes les conséquences, y compris les plus graves. L'idée d'un Etre divin a cet intérêt qu’il fournit une sorte de mode d’emploi de l’existence, des règles et des objectifs définitivement fixés, auxquels l’homme devait se conformer. Ces règles sont donc aussi une forme de confort, puisqu’elles permettent de ne pas se poser la question de la direction à donner à son existence. En disparaissant, Dieu fait aussi disparaître ces lignes directrices qui bordaient l’existence humaine, et l’homme se retrouve nu devant sa propre vie, qu’il va pourtant bien falloir continuer à vivre, en se déterminant soi-même, comme un grand.

     

    Cette responsabilité est aussi une liberté, qui n’est plus du tout conçue comme une situation enthousiasmante dans laquelle on pourrait se laisser aller, une sorte de fête permanente de l’existence. Au contraire, Sartre revient abondamment à travers répétitions et exemples sur le fait que cette liberté constitue pour nous une condamnation à laquelle nous ne saurions échapper, ce qui provoque sur nous angoisse et désespoir.

     

     Le délaissement c'est donc le fait que nous sommes seuls, dans un univers qui n’a pas de sens particulier, dans lequel personne ne nous a voulus. Ce dernier point est en même temps attristant et fondamental : personne ne nous a voulus, personne ne nous attendait, le monde n’a pas besoin de nous, nous aurions tout aussi bien pu ne pas exister. D’ailleurs, nous pourrions disparaître d’un instant à l’autre. Cela a une conséquence : non voulus, nous n’avons pas, non plus, été conçus. Dès lors, puisque nous ne sommes censés rien être de particulier, nous pouvons tout être, rien ne nous contraint. Cela ne signifie pas qu’aucune contrainte ne pèse sur nous : nous vivons bien sûr dans un certain cadre, politique, temporel, géographique, familial, économique, sexuel, mais aucune de ces déterminations ne doit être considérée comme définitivement déterminante. Ce sont des influences, des situations dont on doit faire quelque chose, et par lesquelles on ne doit pas se laisser faire.

     

     

     

    L'exemple de l'étudiant (p. 41)

     

    Pour exprimer toute l'ampleur du délaissement, Sartre prend l'exemple d'un étudiant qui doit choisir entre partir à la résistance en laissant sa mère qui ne vit que par lui après la mort de son autre enfant ou rester avec sa mère en renonçant à aider son pays et à venger son frère mort à la guerre. Le délaissement ici est bien exprimé par le fait que rien ne peut garantir à l'étudiant qu'il va faire le bon choix.

     

    Ainsi et d'une part, il n'y a pas de morale qui permette par avance de décider pour nous (pp. 42-43). Car quel que soit le principe moral que l'on applique, c'est toujours nous qui interprétons ce principe. Ainsi la doctrine chrétienne dit « aimez votre prochain », mais ici qui est le prochain à aimer : la mère ou les autres combattants qui défendent ma patrie ? De son côté, Kant (la doctrine kantienne) dit « ne traitez pas les autres comme un moyen », mais ici comment ne pas traiter soit la mère soit les autres combattants comme un moyen puisqu'en restant avec l'un (ou les uns), j'abandonne l'autre (ou les autres).

     

    Ensuite et d'autre part, mon sentiment ne peut pas me guider (p.44-45), car mon sentiment ne trouve confirmation qu'il est authentique et non illusoire qu'avec l'acte lui-même de faire un choix (je peux par exemple me persuader que j'aime suffisamment quelque chose ou quelqu'un pour m'engager par rapport à cette chose ou ce quelqu'un, mais ce qui prouve l'authenticité de « sentiment », c'est l'acte de l'engagement lui-même). En d'autres termes, c'est mon acte qui me révèle mon sentiment et non mon sentiment qui guide mon acte. Tant que je n'ai pas agi, je ne peux être certain que mon sentiment ne soit pas un mensonge à moi-même.

     

    Par ailleurs, aucun conseiller ne peut suffire à me dispenser de faire le choix par moi-même (pp. 45-46) car le choix même d'écouter tel ou tel conseiller est déjà une forme de décision. En fait, me faire croire que le conseiller que je choisis prend la décision à ma place serait une forme de mauvaise foi, de refus d'assumer mon choix.

     

    Enfin et comme on l'a déjà vu avec Abraham, il n'y a jamais de signes clairs qui éclairent de façon absolue mon choix (pp. 46-47). Sartre redonne un exemple, celui d'un homme qui après une série d'échecs dans sa vie décide que ces échecs sont le signe qu'il n'est pas fait pour les choses « terrestres » et qu'il doit donc devenir prêtre (jésuite en l'occurrence). Pourquoi pas ? C'est un choix positif dans son cas, mais rien dans les « signes » n'indiquait qu'il s'agissait du seul choix possible. D'autres à sa place auraient pu estimer que la série d'échecs indiquait qu'ils n'étaient pour rien.

     

    Conclusion sur ce point : Je suis seul, délaissé car personne ne peut faire le choix à ma place (ni une morale qui me guide de façon certaine ni un sentiment, ni un conseiller ou un quelconque signe).

     

     

     

     

     

    Le désespoir (pp. 48-49)

     

    Le désespoir (concept important d'un philosophe de l'existence nommé Kierkegaard – 19e siècle) est une autre conséquence importante de cette conception de la liberté existentialiste. Si je suis seul à décider (délaissé), je ne peux compter que sur moi et non sur une quelconque providence ou un quelconque destin. Donc ma liberté doit en permanence accepter le fait que rien n'est prédéterminé et que donc des tas de choses peuvent faire obstacle à mon action. Le désespoir est donc ici à prendre en un sens qui n'est pas le sens habituel. Une action désespérée est l'expression d'une action libre et lucide qui sait qu'elle ne doit pas attendre autre chose qu'elle même pour son projet. Ici, Sartre se réfère à une forme de stoïcisme (il fait allusion à la maxime stoïcienne reprise par Descartes : se vaincre soi-même plutôt que l'ordre du monde ») qui consiste à dire : tu peux agir, mais en sachant que tu ne peux contrôler que ce qui dépend de toi (ta volonté, tes désirs) et non ce qui ne dépend pas de toi (le monde extérieur). Mais Sartre transforme ici cette devise stoïcienne en une théorie de l'action. Si tout est possible et que je ne peux déterminer à l'avance ce qui va arriver, je dois agir par mes propres actes sans me préoccuper de ce qui peut ou non arriver.

     



     

    IV. Conséquences morales de l'existentialisme : la nécessité de l'engagement et le refus du quiétisme (p. 50-56)

     

    Sartre n'invite donc absolument pas à l'inaction et au quiétisme (voir le I). Il invite chaque individu à prendre conscience que son action libre n'aura pas forcément de secours du monde extérieur et que cela ne doit être accepté comme un donné (tu agis seul!) pour pouvoir agir pleinement et de façon lucide.

     

    Car ce que sera l'humanité dépendra de nos actes (p. 51)

     

    Puisque rien n’est nécessaire dans l’existence humaine, les valeurs morales ne sont rien d’autre que la résultante de nos actes. Les valeurs morales n'existent pas avant nos actes. Pour prendre un contexte dont la France sort à peine quand cette conférence est prononcée, on peut dire la chose suivante, aussi choquante puisse t-elle paraître : sous l’occupation, il n’y avait pas de loi universelle qui commandait aux hommes de résister. Dès lors, chacun était face à son propre choix, absolument responsable de ce qu’il faisait. Il était possible de résister, il était aussi tout à fait possible de collaborer. Aucun de ces choix n’était moralement défini a priori. Pour celui qui a collaboré, ce choix a déterminé la collaboration comme étant « bonne », pour celui qui a résisté, ce sera l’inverse. Il n’y a donc pas de morale a priori, pas de message dans « le ciel numineux des valeurs » (allusion à des valeurs transcendantes qui dépassent le monde humain) pour nous indiquer la voie à suivre.

     

    Rien ne peut donc m'aider à choisir et je suis seul dans mon choix : Mais pour autant, il ne s’agit pas d’un individualisme, ni d’un relativisme : en choisissant, je choisis en mon nom, mais pour tous. En d’autres termes, celui qui résiste engage toute l’humanité dans la résistance, celui qui collabore aussi. Chacun agit dans un mouvement individuel, seul, mais fonde en agissant des valeurs qui ont une valeur universelle. En choisissant pour moi, je choisis pour tous.

     

    L'existentialisme est donc un humanisme :

     

    C’est pour cela que l’existentialisme n’est pas un simple individualisme, et que Sartre voudra ici le constituer comme un véritable humanisme : si l’homme est seul quand il agit, la somme des actes humains forme bel et bien une humanité, même si celle ci ne permet jamais de justifier par avance les actes que l’on va effectuer. En d’autres termes, vivre dans une humanité fasciste ne justifie jamais par avance le fait que j’adhère moi même à cette idéologie. Par contre, si j’agis moi même de manière conforme au fascisme, alors je fais l’humanité fasciste, parce que l’humanité n’est elle même rien d’autre que ce qu’elle se fait, raison pour laquelle l’Histoire n’a pas de sens pré-déterminé. Elle n’est rien d’autre que ce que les hommes en font . Il n’y avait pas de providence qui voulait que le nazisme soit défait en Europe, l’histoire n’a pas Bien fini, parce qu’il n’y avait pas de Bien a priori auquel l’Histoire devait correspondre. Le nazisme aurait dès lors pu devenir la politique standardisée du monde pour longtemps.

     

    L’humanité peut donc aller vers le pire, mais l’existentialisme est un véritable humanisme, au sens où l’humanité est considérée comme libre. Libre car a priori indéfinie, en construction, pleinement existante, en projet pour elle même. Sartre donne lui même les raisons pour lesquelles on peut, contre toute attente, parler d’humanisme à propos de sa pensée :« Parce que nous rappelons à l’homme qu’il n’y a pas d’autre législateur que lui-même et que c’est dans le délaissement qu’il décidera de lui même ; et parce que nous montrons que ça n’est pas en se retournant vers lui, mais toujours en cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation particulière, que l’homme se réalisera pleinement comme humain ».

     



     

    (pp. 52-56) La mauvaise foi et le difficile constat que l'homme est la somme de ses actes :

     

     

     

    Sartre résume donc le cœur de la doctrine existentialiste par deux affirmations simples :

     

    1. L'homme est la somme de ses actes et de ses projets. Et affirmer le contraire revient à être de mauvaise foi. On se dit (p. 52), je n'ai pas fait tout ce que j'aurais pu faire parce que je n'ai pas eu les bonnes opportunités, les bonnes circonstances, etc. Mais de fait, l'homme est ce qu'il fait de lui et non ce qu'il espère de lui. Dans la mesure où il n'est pas prédéterminé par une quelconque essence, sa définition découle de ses actes.

    2. Loin d'être pessimiste, l'existentialisme est optimiste, mais lucide. Le pessimisme serait de dire que l'on ne peut pas changer et, de fait, cela rassure tous ceux qui n'ont pas le courage d'affronter leurs actes. Mais l'existentialisme est au contraire convaincu que l'on peut toujours changer, que personne ne naît lâche ou héros (p. 55). Sartre revient sur son roman (Les chemins de la liberté) qui a été mal compris car on le trouvait trop « pessimiste » sur la nature humaine. Mais pour Sartre, il n'y a justement pas de nature humaine. On ne naît pas lâche, on le devient par nos actes (à nouveau, pensez à la phrase de Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient »).

     

     

     

    NB : à nouveau, cela ne signifie pas que je peux toujours tout faire. Ma liberté est toujours en situation : je suis dans une situation (une facticité) qui me donne un certain champ de possibles (telle époque, tel pays, tel patrimoine biologique, tel milieu social) et à partir de cette situation seulement, je vais redéfinir mon existence. En ce sens, l'individu se choisit librement (à partir de sa subjectivité), mais à partir d'une situation qu'il n'a pas choisi (il y a une détermination de départ, mais qui n'est pas un prédéterminisme parce que je peux réorienter cette situation de départ). Pour autant, il est toujours libre de réorienter son existence et il ne peut donc pas chercher une excuse dans les circonstances, car d'autres avec les mêmes circonstances ne font pas les mêmes choix.

     


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    René Descartes,

    Méditations métaphysiques

    Première méditation

    Des choses que l'on peut révoquer en doute.

    « Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. Mais cette entreprise me semblant être fort grande, j'ai attendu que j'eusse atteint un âge qui fût si mûr, que je n'en pusse espérer d'autre après lui, auquel je fusse plus propre à l'exécuter ; ce qui m'a fait différer si longtemps, que désormais je croirais commettre une faute, si j'employais encore à délibérer le temps qu'il me reste pour agir. Maintenant donc que mon esprit est libre de tous soins, et que je me suis procuré un repos assuré dans une paisible solitude, je m'appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions.

    Or il ne sera pas nécessaire, pour arriver à ce dessein, de prouver qu'elles sont toutes fausses, de quoi peut-être je ne viendrais jamais à bout ; mais, d'autant que la raison me persuade déjà que je ne dois pas moins soigneusement m'empêcher de donner créance aux choses qui ne sont pas entièrement certaines et indubitables, qu'à celles qui nous paraissent manifestement être fausses, le moindre sujet de douter que j'y trouverai, suffira pour me les faire toutes rejeter. Et pour cela il n'est pas besoin que je les examine chacune en particulier, ce qui serait d'un travail infini ; mais, parce que la ruine des fondements entraîne nécessairement avec soi tout le reste de l'édifice, je m'attaquerai d'abord aux principes, sur lesquels toutes mes anciennes opinions étaient appuyées.

    Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des sens, ou par les sens : or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.

    Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s'en rencontre peut-être beaucoup d'autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d'une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n'est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils assurent constamment qu'ils sont des rois, lorsqu'ils sont très pauvres ; qu'ils sont vêtus d'or et de pourpre, lorsqu'ils sont tout nus ; ou s'imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.

    Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que le remue n'est point assoupie ; que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a point d'indices concluants, ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil, que j'en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.

    Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités-ci, à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains, et choses semblables, ne sont que de fausses illusions ; et pensons que peut-être nos mains, ni tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable ; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes. Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement un certain mélange et composition des membres de divers animaux ; ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose purement feinte et absolument fausse, certes à tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables. Et par la même raison, encore que ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et autres semblables, pussent être imaginaires, il faut toutefois avouer qu'il y a des choses encore plus simples et plus universelles, qui sont vraies et existantes ; du mélange desquelles, ni plus ni moins que de celui de quelques véritables couleurs, toutes ces images des choses qui résident en notre pensée, soit vraies et réelles, soit feintes et fantastiques, sont formées.

    De ce genre de choses est la nature corporelle en général, et son étendue ; ensemble la figure des choses étendues, leur quantité ou grandeur, et leur nombre ; comme aussi le lieu où elles sont, le temps qui mesure leur durée, et autres semblables.

    C'est pourquoi peut-être que de là nous ne conclurons pas mal, si nous disons que la physique, l'astronomie, la médecine, et toutes les autres sciences qui dépendent de la considération des choses composées sont fort douteuses et incertaines ; mais que l'arithmétique, la géométrie, et les autres sciences de cette nature, qui ne traitent que de choses fort simples et fort générales, sans se mettre beaucoup en peine si elles sont dans la nature, ou si elles n'y sont pas, contiennent quelque chose de certain et d'indubitable. Car, soit que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq, et le carré n'aura jamais plus de quatre côtés ; et il ne semble pas possible que des vérités si apparentes puissent être soupçonnées d'aucune fausseté ou d'incertitude.

    Toutefois il y a longtemps que j'ai dans mon esprit une certaine opinion, qu'il y a un Dieu qui peut tout, et par qui j'ai été créé et produit tel que je suis. Or qui me peut avoir assuré que ce Dieu n'ait point fait qu'il n'y ait aucune terre, aucun ciel, aucun corps étendu, aucune figure, aucune grandeur, aucun lieu, et que néanmoins j'aie les sentiments de toutes ces choses, et que tout cela ne me semble point exister autrement que je le vois ? Et même, comme je juge quelquefois que les autres se méprennent, même dans les choses qu'ils pensent savoir avec le plus de certitude, il se peut faire qu'il ait voulu que je me trompe toutes les fois que je fais l'addition de deux et de trois, ou que je nombre les côtés d'un carré, ou que je juge de quelque chose encore plus facile, si l'on se peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut-être que Dieu n'a pas voulu que je fusse déçu de la sorte, car il est dit souverainement bon. Toutefois, si cela répugnait à sa bonté, de m'avoir fait tel que je me trompasse toujours, cela semblerait aussi lui être aucunement contraire, de permettre que je me trompe quelquefois, et néanmoins je ne puis douter qu'il ne le permette.

    Il y aura peut-être ici des personnes qui aimeront mieux nier l'existence d'un Dieu si puissant, que de croire que toutes les autres choses sont incertaines. Mais ne leur résistons pas pour le présent, et supposons, en leur faveur, que tout ce qui est dit ici d'un Dieu soit une fable. Toutefois, de quelque façon qu'ils supposent que je sois parvenu à l'état et à l'être que je possède, soit qu'ils l'attribuent à quelque destin ou fatalité, soit qu'ils le réfèrent au hasard, soit qu'ils veuillent que ce soit par une continuelle suite et liaison des choses, il est certain que, puisque faillir et se tromper est une espèce d'imperfection, d'autant moins puissant sera l'auteur qu'ils attribueront à mon origine, d'autant plus sera-t-il probable que je suis tellement imparfait que je me trompe toujours. Auxquelles raisons je n'ai certes rien à répondre, mais je suis contraint d'avouer que, de toutes les opinions que j'avais autrefois reçues en ma créance pour véritables, il n'y en a pas une de laquelle je ne puisse maintenant douter, non par aucune inconsidération ou légèreté, mais pour des raisons très fortes et mûrement considérées : de sorte qu'il est nécessaire que j'arrête et suspende désormais mon jugement sur ces pensées, et que je ne leur donne pas plus de créance, que je ferais à des choses qui me paraîtraient évidemment fausses si je désire trouver quelque chose de constant et d'assuré dans les sciences.

    Mais il ne suffit pas d'avoir fait ces remarques, il faut encore que je prenne soin de m'en souvenir ; car ces anciennes et ordinaires opinions me reviennent encore souvent en la pensée, le long et familier usage qu'elles ont eu avec moi leur donnant droit d'occuper mon esprit contre mon gré, et de se rendre presque maîtresses de ma créance. Et je ne me désaccoutumerai jamais d'y acquiescer, et de prendre confiance en elles, tant que je les considérerai telles qu'elles sont en effet, c'est à savoir en quelque façon douteuses, comme je viens de montrer, et toutefois fort probables, en sorte que l'on a beaucoup plus de raison de les croire que de les nier. C'est pourquoi je pense que j'en userai plus prudemment, si, prenant un parti contraire, j'emploie tous mes soins à me tromper moi-même, feignant que toutes ces pensées sont fausses et imaginaires ; jusques à ce qu'ayant tellement balancé mes préjugés, qu'ils ne puissent faire pencher mon avis plus d'un côté que d'un autre, mon jugement ne soit plus désormais maîtrisé par de mauvais usages et détourné du droit chemin qui le peut conduire a la connaissance de la vérité. Car je suis assuré que cependant il ne peut y avoir de péril ni d'erreur en cette voie, et que je ne saurais aujourd'hui trop accorder à ma défiance, puisqu'il n'est pas maintenant question d'agir, mais seulement de méditer et de connaître.

    Je supposerai donc qu'il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considérerai moi-même comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de sang, comme n'ayant aucuns sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses. Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n'est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d'aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement. C'est pourquoi je prendrai garde soigneusement de ne point recevoir en ma croyance aucune fausseté, et préparerai si bien mon esprit à toutes les ruses de ce grand trompeur, que, pour puissant et rusé qu'il soit, il ne pourra jamais rien imposer. Mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint d'être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j'appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir les ténèbres des difficultés qui viennent d'être agitées.



    Seconde méditation

    De la nature de l'esprit humain ; et qu'il est plus aisé à connaître que le corps.

    LA Méditation que je fis hier m'a rempli l'esprit de tant de doutes, qu'il n'est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne vois pas de quelle façon je les pourrai résoudre ; et comme si tout à coup j'étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au-dessus. Je m'efforcerai néanmoins, et suivrai derechef la même voie où j'étais entré hier, en m'éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que cela fût absolument faux ; et je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu'à ce que j'aie rencontré quelque chose de certain, ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu'à ce que j'aie appris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain. Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu'un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j'aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable.

    Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain.

    Mais que sais-je s'il n'y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l'esprit ces pensées ? Cela n'est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j'ai déjà nié que j'eusse aucun sens ni aucun corps. J'hésite néanmoins, car que s'ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point ? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. »

     


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    NB : je donne ces quelques conseils car, à mon grand étonnement, de nombreux élèves demandent chaque année le jour du rattrapage comment "ça se passe"...

     

    Rappel : si j'ai entre 8 et 10 au bac, je vais au rattrapage. Je peux alors choisir la philosophie (soit en raison de son fort coefficient – T L et T ES notamment – soit en raison de ma note très basse).

     

    Le moment de l'oral de rattrapage est particulièrement angoissant (on sait que le couperet de la guillotine risque de s'abattre). Pourtant cette angoisse ne doit pas être contre-productive et nous faire oublier l'essentiel : tout est encore possible pour peu que j'ai suivi le cours dans l'année !

     

     

    • Premier impératif : reprendre mon cours sur l'oeuvre ou les oeuvres étudiées en vue du rattrapage.

    • Second impératif, le jour J (souvent deux jours après les résultats, d'où la nécessité d'avoir travaillé avant l'oeuvre pour l'oral), je dois avoir mon texte en double plus mon enveloppe.

     

    Ensuite quelques conseils pour l'entretien lui-même :

     

    • J'arrive et je donne mon texte
    • On me donne un extrait 
    • Je prépare pendant 20 minutes Je passe et je ne me préoccupe pas de savoir si la personne a l'air sympa, pas sympa, etc.
    • Je lis d'abord l'extrait (je ne demande pas s'il faut le lire)
    • J'introduis de façon claire et méthodique en prenant mon temps
    • Je commente l'extrait dans le détail en essayant au maximum d'utiliser mes connaissances sur le reste de l'oeuvre (de façon pertinente, c'est-à-dire en partant de l'extrait).
    • J'évite de réciter
    • Je tente d'être sincère. Si je cite par cœur mon prof, je le dis ; si je ne comprends pas un terme je le dis tout en essayant de formuler des hypothèses sur sa signification (en m'aidant du contexte).
    • Je prends mon temps pour commenter dans le détail (de nombreux candidats ont fini en deux minutes chrono)
    • Je conclus (vraiment !, de façon méthodique, pas en disant « ben voilà c'est fini »).
    • Je réponds avec soin aux questions posées (qui n'ont pas pour but de me piéger)
    • Je ne m'angoisse plus et je vais à fond à l'autre épreuve (ou si l'autre épreuve est passée, je sors en me disant que j'ai fait de mon mieux)