• L'art et l'esthétique

    Voici une présentation rapide de deux auteurs importants dans l'histoire de l'esthétique moderne :

    David Hume

    Edmund Burke

  • Quelques principes de l'esthétique selon Hume

    David Hume est un philosophe, économiste et historien britannique, l'un des plus importants penseurs des Lumières écossaises. 

    - Hume est un empiriste (empirisme = théorie qui explique la production des connaissances à partir de l'expérience sensible). Selon lui, nous ne pouvons pas parvenir à établir des lois universelles (que ce soit dans le domaine de la science ou de l'esthétique) et c'est seulement l'habitude (répétition des expériences) qui nous amènent à croire en une forme d'objectivité.

     

    - En 1757, Hume publie De la norme du goût.

     

    Dans cet essai, il part du constat que la diversité des goûts est irréductible tout en estimant qu'il est « naturel » de chercher une « norme du goût », soit « une règle par laquelle les sentiments divers des hommes puissent être [en partie] réconciliés ».

     

    La solution de Hume pour élaborer cette norme du goût est :

     

    a) de renoncer à l'idée d'une universalité théorique du goût : il n'y a pas de raison universelle qui régirait le goût (on renonce à fonder le goût sur les déductions rationnelles donc – pas de lois a priori). Donc d'admettre les variations du goût et d'affirmer qu'on ne rencontre nulle part un goût stable et commun à tous les hommes et qu'aucun critère n'est absolument fixe dans les évaluations esthétiques.

     

    b) mais en même temps de refuser le relativisme car tout jugement esthétique ne se vaut pas : il existe selon Hume une universalité pratique du goût, un « sens commun » qui limite le relativisme (il semble absurde de comparer des oeuvres d'un grand poète à un écrivain de seconde zone).

     

    c) d'expliquer que ce sens commun (cette convergence des sentiments dans le jugement esthétique) vient à la fois de l'uniformité de la nature humaine et de la société qui joue un rôle considérable dans la formation des goûts individuels (c'est la récurrence des mêmes conditions d'appréciation au cours d'une époque qui assure la stabilité du goût).

    d) d'expliquer que les causes de la diversité de goût sont à chercher 1. dans les cas pathologiques (extravagance des sentiments de certains), 2. dans la nouveauté qui bouleverse le sens commun correspondant à l'esprit d'une époque 3. Et dans le manque de pratique et d'expérience (D'où l'importance de l'habitude pour affiner le goût. En effet, pour juger du beau, le premier critère est de posséder une certaine « délicatesse » de goût, délicatesse qui découle de l'expérience).

     

    Conclusion : le beau est ce qui suscite une uniformité de sentiment d'approbation parmi les hommes dont le jugement est sain. Et la beauté parfaite est donc ce qui plait à ceux qui réalisent au mieux leur nature humaine et ce qui plait à la nature humaine la plus accomplie. Or cet accomplissement dépend de l'expérience, la pratique, l'éducation, l'exercice.

     

     

     

     


  • Quelques grands principes de l'esthétique selon Burke :

     

    Edmund Burke est un homme politique et philosophe irlandais. Il est resté célèbre pour sa ferme opposition à la Révolution française qui fit de lui l'un des chefs de file de la faction conservatrice au sein du parti whig. Il est souvent considéré comme le père du conservatisme anglo-américain. Au niveau de la philosophie de l'art, Burke est un auteur d'ouvrages de philosophie portant sur l'esthétique. D'après Cassirer, la découverte par Burke de l'infini à travers l'expérience du sublime a permis à l'esthétique de se renouveler et de sortir d'une philosophie de l'art subordonnée à la seul recherche du plaisir pur.

     

    Explication des principales thèses de Burke sur l'esthétique

    1. Le jugement de goût :

     

    Pour Burke, le goût n'est pas l'indice d'une subjectivité versatile (arbitraire), mais la marque d'une nature humaine uniforme (point commun avec Hume). Les sentiments esthétiques sont le résultat de passions élémentaires : plaisir et douleur provoqués par l'objet artistique sur les sens, sens qui donnent lieu à une représentation de l'imagination. L’esthétique de Burke donne donc une importance déterminante à la sensation. Mais Burke insiste aussi sur l'importance de l'imagination. Car le sentiment de goût répond à une représentation de l’imagination — et non de la réalité. L’imagination est en fait le pouvoir que nous avons de combiner entre elles nos sensations pour produire des images fictives.

    En synthèse, le jeu de l’imagination s’enracine dans la violence de l’impression sensible, dans l’événement de la rencontre sensationnelle. La formation du goût dépend donc de la violence des impressions, et tout particulièrement de celle des premières impressions, que l’habitude n’a pas eu le temps d’émousser.

    2. Le beau et le sublime

    A partir de ce socle théorique, l'originalité consiste à séparer le beau du sublime à partir des passions qui suscitent ces deux types de jugements esthétiques.

    Alors que le beau vient d'un plaisir désintéressé, le sublime provient du délice créé par la crainte et le tremblement face à la terreur. Il est la passion de la terreur transformé en délice en raison du fait qu'il s'agit d'une terreur qui nous laisse la réjouissance d'être sauf. Le délice provient de la peur de la douleur conjuguée au soulagement de la savoir à distance de nous. Ainsi tout objet terrible, tout ce qui nous inspire de la terreur, éveille en nous le sentiment du sublime, à la condition du moins que le plaisir que l’imagination ressent à être excitée par ces sensations violentes ne soit pas détruit par la douleur qui en serait la conséquence. Burke pense pouvoir expliquer de cette façon l’attrait qu’exerce sur nous le spectacle de l’horreur, indépendamment de la cruauté morale que ce plaisir implique.

    On peut alors concevoir avec Burke le sentiment du sublime comme une sorte de sursaut vital, qui nous rappelle à la vie à l’instant même où nous étions sur le point de sombrer dans le néant. Et le sentiment de la terreur ne nous procure du plaisir que parce qu’il nous permet de nous ressentir vivant : l’effroi que produit sur nous la menace de mort est la preuve sensible que nous ne sommes pas encore morts.   

    3. Une esthétique novatrice :

    L’esthétique du sublime est chez Burke véritablement novatrice et se trouve en opposition à l’esthétique du beau. En effet, les mouvements les plus intenses de l'âme ne sont pas suscités par la beauté mais par des formes discordantes. Alors que la beauté classique est définie par les proportions, la perfection de la forme, le sublime vient pour Burke de l'informe de ce qui échappe à notre capacité de délimitation, de ce qui nous submerge. Le sublime a pour caractéristique de se porter vers l’absence d’objet, ou du moins vers l’absence d’objet déterminable, vers l’indistinct plutôt que le distinct, vers le difforme plutôt que vers la forme, vers l’infini ou du moins l’indéfini plutôt que vers le défini et le limité. Bref, vers le chaos plutôt que vers l’ordre.



     

    Quelques extraits :

    Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau 

    1. L'uniformité de la nature humaine et le principe du jugement de goût

    « Dans la mesure donc où le goût relève de l'imagination, son principe est le même chez tous les hommes ; il n'y a de différence ni dans la manière dont ils sont affectés, ni dans les causes de cette affection, mais seulement dans le degré de l'impression, qui tient principalement à deux causes : un niveau supérieur de sensibilité naturelle ou bien une attention plus forte et plus soutenue à l'objet. […] Dans ces cas délicats, si nous supposons une égale acuité sensorielle, l'avantage sera du côté de la plus grande attention et de l'habitude. […] Mais, malgré l'absence de mesures communes permettant de trancher les nombreuses disputes relatives aux sens et à leur représentation dans l'imagination, nous trouvons que les principes sont partout les mêmes, et que le désaccord surgit seulement lorsqu'on vient à juger du degré d'excellence ou de ressemblance des choses. » (I)



    2. La douleur et la terreur, origine du sublime

    La force de l'idée de douleur

     

    « Il faut se souvenir que l’idée de douleur portée à son plus haut degré est bien plus forte que le plus haut degré de plaisir ; et qu’elle garde la même supériorité aux niveaux inférieurs. De là vient que si les possibilités de ressentir des degrés égaux de souffrance ou de jouissance sont en quelque sorte équivalentes, l’idée de la souffrance doit toujours prévaloir. En effet, l’idée de la douleur et surtout celle de la mort nous affectent à tel point qu’il nous est impossible d’être parfaitement libres de terreur en présence de ce que nous supposons capable de les infliger. […] Regardez un homme ou tout autre animal d’une force prodigieuse ; quel sentiment précède en vous la réflexion? Pensez-vous que cette force vous sera de quelque utilité, de quelque soulagement, de quelque plaisir, ou d’un avantage quelconque ? Non, l’émotion que vous ressentez est la crainte que cette force énorme ne soit employée à la rapine et à la destruction. » (II, 5)

     

     

    L'idée de douleur, origine du sublime

     

    Tout ce qui est propre à susciter d’une manière quelconque les idées de douleur et de danger, c’est-à-dire tout ce qui agit d’une certaine manière terrible, tout ce qui traite d’objets terribles ou agit de façon analogue à la terreur, est source de sublime (I, 7).

     

     

    Le sublime est lié depuis toujours à la terreur

     

    La terreur est en effet dans tous les cas possibles, d’une façon plus ou moins manifeste ou implicite, le principe qui gouverne le sublime. Plusieurs langues témoignent avec force de l’affinité de ces idées. Elles utilisent souvent le même mot pour signifier indifféremment les modes de l’étonnement ou de l’admiration et ceux de la terreur. En grec, thambos veut dire peur ou surprise, deinos terrible ou respectable, aideo révérer ou redouter. Vereor est au latin ce que aideo est au grec. Les Romains se servent du verbe stupeo, terme qui marque énergiquement l’état d’un esprit étonné, pour exprimer l’effet de la simple crainte ou de l’étonnement. Le terme attonitus (foudroyé) exprime bien, également, l’alliance de ces idées ; et étonnement en français, astonishment et amazement en anglais ne montrent-ils pas clairement l’affinité des émotions qui accompagnent la peur et la surprise ? Je suis sûr que ceux qui ont une connaissance plus générale des langues pourront proposer quantité d’autres exemples également frappants. (II, 2)



    3. Les mécanismes qui provoquent le sublime

    Le « plaisir relatif » provoqué par l'éloignement de l'idée de douleur

    « Voici tout ce que j’avance : premièrement, il y a des plaisirs et des douleurs de nature positive et indépendante ; deuxièmement, le sentiment qui résulte de la cessation ou de la diminution de la douleur ne ressemble pas assez au plaisir positif pour qu’on le croie de même nature et qu’on lui donne le même nom ; troisièmement, et d’après le même principe, l’éloignement du plaisir ou la diminution du plaisir n’ont pas la moindre ressemblance avec une douleur positive […] Chaque fois que j’aurais l’occasion de parler de cette espèce de plaisir relatif, je l’appellerai délice ; et j’aurais soin de ne jamais utiliser ce mot en aucun autre sens. [...] J'emploierai le terme délice pour exprimer la sensation qui accompagne l'éloignement de la douleur ou du danger et, de même, quand je parlerai de plaisir positif, je le nommerai le plus souvent simplement plaisir. »

    (I, 4)



    La sympathie comme moyen d'éprouver l'idée de douleur par le spectacle des souffrances de l'autre :

    « C’est par la sympathie que nous entrons dans les intérêts des autres, que nous sommes émus comme ils le sont, et que nous ne pouvons jamais supporter de rester spectateurs indifférents de presque tout ce qu’ils font ou souffrent. Car on doit considérer la sympathie comme une sorte de substitution, qui nous met à la place d’autrui et nous permet d’être affecté presque de la même manière ; la sympathie peut ainsi participer par nature des passions qui concernent la conservation de soi et, en procédant de la douleur, devenir une source du sublime . » (I, 13)

     

    L'infini source de sublime

     

    « Une autre source du sublime est l'infini […]. Il a tendance à remplir l'esprit de cette d'horreur délicieuse qui est l'effet le plus authentique et le meilleur critère du sublime. Parmi les objets soumis à nos sens, il s'en trouve peu qui soient réellement infinis par eux-mêmes. Mais, comme il en est beaucoup dont l'oeil ne peut pas percevoir les bornes, ils paraissent infinis et produisent les mêmes effets que s'ils l'étaient réellement. » (II. 8)

     

     

     

     

    4. Les limites de l'art dans la capacité à provoquer le sublime

     

    « Quand les peintres ont tenté de nous donner des représentations claires de ces idées entièrement imaginaires et terribles, je crois qu’ils ont presque toujours manqué leur but ; à tel point que devant toutes les peintures de l’enfer que j’ai vues, la question m’embarrassait de savoir si le peintre n’avait pas une intention comique. » (II, 4)

     

    « Fixez une date pour la représentation de la plus sublime et la plus touchante de nos tragédies, engagez les acteurs les plus renommés, n’épargnez nulle dépense pour les décors, faites conspirer dans la même oeuvre poésie, peinture et musique ; et quand le public sera rassemblé, juste au moment où les esprits seront tendus par l’attente, faîtes annoncer qu’un criminel d’État de haut rang va être exécuté sur la place voisine ; en un clin d’oeil le vide du théâtre montrera la faiblesse comparée des arts imitatifs et proclamera le triomphe de la sympathie réelle. » (I, 15)